« Allez, fais pas ta tête de mule ! »
« Non c'est non. »
« Alleeeez ! »
« Pelipa, tu pourrais sortir un peu ? Ça ferait plaisir à ton frère... »
« Ouais ça me ferait plaisir ! Allez meuf, on y va ! »

Pelipa regarda d'un air consterné le trio de bienheureux qui lui faisait face. Ils avaient visiblement préparé un plan dans la journée, pendant que Pelipa travaillait, elle..., pour forcer la Cheyenne à accompagner son stupide frère boire des coups dans un bar. Déjà rien que l'idée était foireuse : boire des coups dans un bar ? Elle avait la tronche de quelqu'un aimant boire des coups dans un bar ? Hum ? Et puis combien même elle aimerait l'alcool, pourquoi est-ce qu'elle irait dans un bar alors qu'elle pouvait très bien le faire toute seule chez elle ? Certains diraient sans doute que boire toute seule, c'était bien triste mais Pelipa ne voyait pas en quoi boire en public pour faire bonne figure était bien mieux. Si elle avait envie de boire, eh bien elle le ferait mais elle ne voyait pas pourquoi elle accompagnerait son alcoolique de frère et ses débiles d'amis pour ''faire bonne figure''. Depuis quand Pelipa Cloud avait besoin de faire bonne figure ? Elle s'était toujours foutu du regard des autres et les jugements extérieurs la touchaient autant qu'un mendiant alcoolique à qui on offrait de la nourriture au lieu de l'argent : ça ne l'intéressait absolument pas.

« Allez Emily, s'te plaait ! »

Pelipa planta son regard dans celui, bovin, de son frère :

« Ne m'appelle plus jamais comme ça. »
« C'est ton prénom pourtant, hein Emily ? »
« Non. Je m'appelle Pelipa et je n'ai pas envie de te ramener complétement bourré à la maison. Trouves-toi un autre pigeon ! »

Ni une ni deux, Pelipa sortit de la maison et se dirigea vers l'enclos où Heta, fidèle à elle-même, dormait paisiblement. L'arrivée peu discrète de la Cheyenne réveilla la jument qui accourut aussitôt pour quémander caresses et, si possible, des bonbons. Elle eut les premières mais pas les secondes, néanmoins Heta s'en contenta, ravie de voir son humaine. Lorsqu'un second humain, le frère de Pelipa, s'approcha, la jument décida qu'elle avait eut son lot de caresses et s'en alla donc au petit trot rêver à d'autres carottes volantes. Le garçon s'adossa à la barrière de l'enclos et regarda sa sœur. Ils étaient tellement différents... Lui n'avait jamais complétement adhéré aux traditions et coutumes cheyennes et il avait préféré se tourner vers la technologie, enchainant téléphone portable sur téléphone portable. Il avait une liste d'amis trop longue pour être lue et il rêvait de quitter Blackfeet pour voyager. Pelipa, elle, n'avait pas de téléphone portable, pouvait compter ses amis sur les doigts d'une main et n'imaginait pas quitter Blackfeet de nouveau sans en mourir. Elle haïssait les touristes et les blancs qui voulaient faire de Blackfeet une ville à la mode tandis que lui aimait cette arrivée de nouvelles personnes et de nouvelles possibilités. Il n'avait jamais osé avouer à sa sœur qu'il était pour le nouveau centre commercial et qu'il ne croyait pas un seul instant aux esprits. Les promoteurs avaient été obligés de déplacer le totem ? Il fallait parfois que le vieux parte pour faire de la place au neuf... Mais il ne confierait jamais ça à sa sœur car si cette dernière avait toujours été distante avec lui, il tenait à elle comme à la prunelle de ses yeux et si elle venait à apprendre son opinion sur le sujet, il pourrait faire une croix sur sa présence. Alors il faisait semblant de partager ses opinions ou au moins de rester neutre dans le débat car s'il venait à perdre la confiance et le respect de sa sœur, il n'aurait sans doute plus personne vers qui se tourner. Car si Pelipa était distante et parfois sèche avec lui, elle restait la seule personne en qui il pouvait avoir pleinement confiance et puis... c'était elle qui lui faisait le petit-déjeuner tous les matins !

« Allez Em... Bon si tu m'accompagnes, promis je ferais des efforts pour t'appeler Pelipa ! »
« … T'es vraiment con, tu le sais ? »
« Ouais bah qu'est-ce que j'y peux si t'as récupéré le cerveau et moi le corps ? »

Pelipa regarda son frère d'un air consterné avant de secouer la tête pour lui annoncer qu'il avait gagné le combat. Ravis de sa victoire, le frère de Pelipa la traina jusqu'à la maison pour l'obliger à aller se changer « m'enfin tu vas pas y aller comme ça ! Tu pues le cheval ! » et une fois la Cheyenne douchée et habillée correctement, le duo disparut dans la nuit sous les regards bienveillants et amusés des parents.
La nuit était tombée depuis une petite heure et pourtant la chaleur de la journée était restée. Pelipa avait mis une longue robe sans manche où des fleurs s'entrelaçait sur le bustier et sur le bas, laissant le milieu de la robe entièrement couleur crème avec quelques petites fleurs ça et là (si vous avez besoin de vous faire une idée, elle ressemble un peu à ça). Pelipa n'avait jamais acheté cette tenue mais sa mère la lui avait offert et la Cheyenne s'était dit que tant qu'à sortir en ville, elle pouvait bien faire un effort pour paraître plus aimable que d'habitude. L'effet était réussi car la robe lui donnait un côté très doux et sage, qui ne collait pourtant pas du tout avec le personnage mais passons... Les amis de son frère arrivant, Pelipa s'efforça de rester aimable, même lorsque l'un d'entre eux siffla un « j't'avais pas reconnu Pelipa, c'te robe... Youhouhou ! T'es trop sex' » et si la concernée ne lui colla pas un coup de genoux entre les jambes, son frère frappa la tête et réprimanda son ami, déjà pompette, à coup de « si tu tiens à tes couilles, arrêtes de la prendre pour une touriste, ok ? » sans préciser bien sûr que la personne la plus à craindre dans l'histoire, c'était bien Pelipa et sa robe à fleurs... Enfin bref, après quelques détours non-prévus et un arrêt rapide devant le chantier, pendant lequel la Cheyenne en profita pour maudire les quarante-cinq prochaines générations des promoteurs, le groupe de joyeux lurons fini par arriver à destination. Les mâles entrèrent bruyamment dans le bar tandis que Pelipa ne pipait mot et se contentait d'un rapide hochement de tête à l'attention du barman. La soirée promettait d'être longue et Pelipa ne pu s'empêcher de soupirer lorsqu'elle fut chargée par les alcooliques d'aller chercher les boissons au bar. La Cheyenne se dirigea donc vers le barman et commanda de quoi faire taire les abrutis attablés plus loin et une bière pour elle.

Pelipa était raciste, profondément raciste, et elle ne s'en cachait pas. Certains Cheyennes essayaient au moins de rester aimable avec les nouveaux arrivants mais Pelipa, elle, ne cachait pas son mépris derrière un sourire de façade. Si on avait le malheur de lui demander le chemin d'un endroit quelconque, elle indiquait celui de l'arrêt de bus en disant que pour rentrer chez eux, il fallait prendre le car. Délicieuse enfant, n'est-il pas ? Si Blackfeet avait été remplie de Pelipa, aucun doute que les blancs auraient décampé avant de se faire scalper... Pelipa était une brute qui ne se cachait pas et on ne comptait plus le nombre de personne à qui elle avait refait le portrait lorsqu'elle était petite. On pouvait se dire, à tord, qu'en grandissant elle avait entendu la voix de la sagesse... mais non. Enfin si, elle avait entendu la voix de la sagesse Cheyenne à savoir « il est temps que les Blancs quittent notre Terre » mais elle n'avait clairement pas entendu la voix de la sagesse occidentale qui lui disait qu'en tant que femme, elle devait être toute douce et toute gentille. Pfoua ! Pelipa se fichait des apparences et l'idée-même de devoir ressembler à un fantasme de Blanc lui donnait envie de vomir. Elle était la personne qu'elle voulait être, pas celle que les autres attendaient d'elle. L'amérindienne ne comprenait pas qu'on puisse emprisonner sa personnalité pour satisfaire les autres... Comment pouvait-on se détester au point de se cacher derrière une façade de stupidité ?! La Nature ne se cachait pas derrière des faux-semblants alors pourquoi les humains refusaient-ils d'en faire de même ? Pelipa ne se maquillait pas et les rares fois où elle l'avait fait, son maquillage avait été 100% naturel. Elle ne comprenait pas les filles qu'elle croisait parfois avec tellement de maquillage sur la tronche qu'on en finissait par douter de leur véritable identité. La peau devait respirer et vu les centimètres de fond de teint qu'elles se collaient sur le visage, ces filles devaient avoir des imperfections à n'en plus finir ! Pelipa était prête en quelques minutes là où ces filles devaient se préparer la veille pour le lendemain. Non, décidément l'amérindienne ne comprenait pas à quoi cela pouvait servir de se maquiller de la sorte pour finalement se vomir dessus parce qu'on avait trop bu... Les Blancs avaient vraiment des traditions ridicules...

« Je connais peut-être pas l'histoire, mais si vous étiez bêtes comme ça quand les blancs sont débarqués, je comprends qu'ils aient décidé de vous éradiquer. »

Que que... QUEWAAA ?! Pelipa tourna la tête sur le côté et dévisagea le Blanc, de la haine dans le regard. Qu'avait-il osé dire ? Avait-il vraiment fait la connerie de ressortir un cliché stupide alors que Pelipa se tenait à côté de lui ? Que s'imaginait-il ? Qu'elle ne l'entendrait pas dire une absurdité aussi énorme ?! Qu'elle ne l'entendrait pas manquer de respect à son peuple ?! Ou peut-être avait-il effectivement fait exprès de défier l'amérindienne ? A quoi est-ce qu'il s'attendait ? A ce qu'elle lui demande de répéter ? Hoho mais elle n'avait pas besoin qu'il répète, elle avait très bien entendu... Trop bien, même. Et s'il s'attendait à ce qu'elle s'excuse d'exister, il allait être sérieusement déçu...

« T'es naturellement un gros con ou tu fais des efforts pour montrer que t'es un bon Blanc ? »

Pelipa n'avait pas hurlé, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait, mais elle avait parlé assez fort pour que les gens autour d'eux se rendent compte qu'il y avait quelque chose qui clochait... Pelipa était connue pour s'énerver très vite mais il fallait généralement qu'on lui manque de respect pour qu'elle choisisse d'attaquer au lieu de mépriser et c'est donc tout naturellement que les gens tournèrent la tête vers le duo. Le frère de l'amérindienne et ses amis étaient trop éloignés pour avoir entendu et ils continuaient donc à rire sans raison alors que le barman s'était éloigné pour amener les boissons commandées quelques instants plus tôt. L'amérindienne s'était complétement tournée vers l'américain et si elle se tenait droite, elle restait sur le qui-vive, prête à se jeter à la gueule du Blanc. Elle haïssait les cons qui, comme lui, pensaient tout savoir alors qu'ils n'étaient même pas capable de retenir leur propre histoire.

« Tu devrais revoir tes cours au lieu de raconter d'la merde : t'as comme oublié une partie de ton histoire, pauv'tâche. Vous êtes venus nous faire chier parce que vous aviez trop peur du gouvernement anglais. Vous avez fuit la queue entre les jambes pour atterrir ici et, comme d'habitude, vous n'avez pas pu vous empêcher de détruire tout ce que vous touchez. C'est plus fort que vous, hein ? Vous voulez tout rabaisser à votre niveau et dès que vous trouvez meilleur que vous, vous vous acharnez à le détruire parce que vous n'acceptez pas le fait que vous n'êtes qu'une bande de mauviettes tout juste bons à lécher votre pisse. Vous êtes pires que des sacs-à-merde, vous n'êtes qu'une bande pleurnichards tout juste bon à se chier dessus dès qu'on hausse le ton. »

Pelipa ne se demanda même pas si elle avait dépassé les bornes ou si elle avait sur-réagit : elle n'en avait rien à foutre. Ce petit con lui avait manqué de respect, avait craché sur les morts et s'était permis de mettre les Blancs dans le rôle des sauveurs alors qu'ils n'étaient que des exterminateurs et pour ça, la punition ne serait jamais assez violente. Ils avaient peur de tout et éliminaient tout ce qui risquait de leur porter préjudice. Les Blancs n'étaient qu'une bande de faibles et il était grand temps que quelqu'un s'occupe de les remettre à leur place : six pieds sous terre.

« Tu ferais mieux de dégager, les crétins comme toi sont pas la bienvenue ici. »

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